Sheila Hicks

Apprentissages

September 7 - December 31, 2016

Paris

www.festival-automne.com


Musée Carnavalet - Histoire de Paris: September 13 - October 2, 2016


Vitrines Parisiennes: October 15- December 3, 2016

Maison Bonnet Lunetier, Passage des Deux Pavillons, 75001 Paris
Librairie Petite Egypte, 35 rue des Petits Carreaux, 75002 Paris
Régie immobilière de la Ville de Paris, 7-9 rue Saint-Paul, 75004 Paris
C.S.E./Docteur Philippe Benillouche, 17 rue Beaurepaire, 75010 Paris

Galerie kreo, 31 rue Dauphine, 75006 Paris (October 25 - December 17, 2016)


Nanterre-Amandiers: December 9 - 17, 2016


Rencontre avec Sheila Hicks: October 21, 2016 - 6pm
Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris
A l'occasion de son projet « Apprentissages », Sheila Hicks sera en conversation avec Clément Dirié, critique d'art et commissaire d'exposition, et Valérie Guillaume, directrice du Musée Carnavalet-Histoire de Paris.
Accès libre dans la limite des places disponibles 
Réservation : assistant.rp@festival-automne.com



Production Festival d’Automne à Paris
En collaboration avec Paris Musées, le Musée Carnavalet – Histoire de Paris, et Nanterre-Amandiers, centre dramatique national
Avec le soutien de Sunbrella et Noirmontartproduction

   En 1964, Sheila Hicks choisit de s’installer à Paris pour y mener sa vie et fonder son atelier. Née au Nebraska en 1934, élève de Josef Albers et Georges Kubler à la Yale School of Art and Architecture, riche de ses voyages en Amérique du Sud et de cinq années au Mexique, son atelier parisien devient alors le centre, toujours actif, d’une œuvre ouverte, où fils et textiles donnent forme à un « langage international » tactile, sensible et immédiat. Pour elle, la création est un processus en mouvement, qui se nourrit des rencontres et dialogues qui la marquent, des cultures et des techniques étudiées, des architectures investies. Apprentissages est un parcours en trois temps, déployé de septembre à décembre, aux apparitions successives, intimement liées à la géographie parisienne. Premier temps au Musée Carnavalet, où l’univers de Sheila Hicks dialogue avec l’architecture éclectique de ce musée dédié à l’histoire de Paris, notamment dans la galerie de l’Hôtel Carnavalet, côté jardin, sur la Cour des Marchands-Drapiers. Second moment, à découvrir au cours de promenades urbaines, avec un ensemble de vitrines habitées par les gestes caractéristiques de son vocabulaire chromatique, textile et pictural. Un final, enfin, au sein du vaste Atelier décor de Nanterre-Amandiers, ouvert au public pour l’occasion, où l’artiste redéploie, au sein d’une architecture résolument moderne, les œuvres exposées précédemment. Puisque rien n’est jamais figé, qu’il faut rester curieux, Apprentissages souhaite être un parcours « initiatique » ouvert, où la rencontre avec l’art et la matière enrichit l’expérience commune, de nos corps, de notre mémoire, celle de l’artiste comme celle de chacun d’entre nous. Depuis les années 1960, Sheila Hicks élabore une œuvre qui trouve son point d’équilibre à la croisée des arts appliqués et de l’art contemporain. En 2016, elle participe notamment à la 20e Biennale de Sydney, au Glasgow International Festival et à Weaving & We–2nd Triennial of Fiber Art de Hangzhou. La même année, le Joslyn Art Museum d’Omaha (Nebraska) lui consacre une rétrospective intitulée Sheila Hicks: Material Voices. En France, elle a exposé en 2014 au Palais de Tokyo (Paris) et au Consortium (Dijon) ; à l’étranger, à la 30e Biennale de São Paulo en 2012, à la Biennale du Whitney (New York) en 2014 et à la Hayward Gallery (Londres) en 2015. 



Entretien 


Apprentissages, suite d’installations in situ élaborée pour le Festival d’Automne à Paris, se déploie de septembre à décembre 2016 dans plusieurs lieux aux architectures, contextes et publics chaque fois particuliers. Les deux principaux lieux investis diffèrent significativement. Le Musée Carnavalet-Histoire de Paris et l’Atelier décor de Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national sont aux antipodes l’un de l’autre : l’écrin architectural éclectique vs. la boîte noire « post-moderne ». Comment envisages-tu ces deux espaces ?
Sheila Hicks : J'imagine que le but de cette question est de savoir ce que je compte faire dans quatre mois, voire plus pour Nanterre où le projet a lieu en décembre... Une demi-douzaine d´idées et de scénari passent quotidiennement dans ma tête. C'est une explosion d'opportunités, à la recherche de moyens pour les réaliser. Ceci dit, je sais déjà qu’au Musée Carnavalet, l’installation prendra place dans les cours principales du bâtiment, soit la bien-nommée Cour des marchands drapiers, la Galerie avec ses arcades et la Cour de la Victoire où trône la Statue de la Victoire, réplique de celle de la Place du Châtelet. Je souhaite y investir les différents niveaux, horizontaux comme verticaux, de l’architecture et du site, depuis les « borduresbroderies » végétales à la française jusqu’aux balustres surplombant la Galerie. À Nanterre, l’espace de production m’inspire par ses dimensions, son côté « plateau brut ». L’installation sera sans doute plus mobile, évolutive, prenant en compte le public. Ce sera le final d’Apprentissages. J’ai visité le théâtre de Nanterre en février dernier ; j’ai apprécié l’énergie et la singularité de cette ville. Comme à mon habitude, l’idée est également de réutiliser les matières d’une installation à l’autre. En tout cas, j'espère que ça sera extraordinaire. Ces deux beaux lieux méritent des miracles. 

Paris est en quelque sorte le thème général d’Apprentissages, notamment avec les vitrines parisiennes investies au cours des mois d’octobre et novembre. Avec elles, nous allons proposer des interventions à plus petite échelle, de la surprise, la découverte de bulles de couleur et de matières au cours de promenades dans le Paris quotidien, sur le modèle de ce que nous avons expérimenté ensemble en 2014 avec l’exposition Fiji Island – Fil (8, rue Saint-Bon, Paris). Tu habites à Paris depuis 1964. Comment décrirais-tu cette ville ? 
Sheila Hicks : J'habite ici depuis cinquante ans. Je me ressource à « lécher ses vitrines » et à découvrir des nouveaux chemins au fil des saisons. J'ai appris à apprécier l'histoire et la culture de ce pays « gaulois » grâce à mes enfants et petits-enfants, nés et élevés ici. Depuis 1964, Paris et mes ateliers successifs sont le centre de mon activité. En 1972, j’ai participé à l'exposition 72-Douze ans d’art contemporain en France au Grand Palais. Je n'oublierai jamais cette expérience. Cela a été déterminant pour mon avenir. En plus de mes collaborations avec Suzy Langlois – la première galerie à m’exposer à Paris, située alors boulevard Saint-Germain – et Carmen Martinez, qui était installée rue du Roi-de-Sicile dans le Marais, dans les années 1970-1980, l’exposition FIL à Montreuil en 1978, organisée par Mic Fabre, fut aussi un moment important. Enfin, le fait que le « visuel général » du Festival d’Automne à Paris 2016 soit un détail d’une installation réalisée en 1991 et intitulée Paris s’éveille me plaît beaucoup. Un titre prédestiné ! Les possibilités toujours plus rapides de déplacements m'ont permis de travailler partout dans le monde. J’en ai bien profité : Mexique, Inde, Maroc, Japon, Corée du Sud, États-Unis, Suisse, Chili, Allemagne... Tout en revenant toujours à Paris, dans mon « jardin d’hiver », et en découvrant la France, notamment Trélazé, près d’Angers, où se trouvent les mines d’ardoise, et la Bretagne où j’ai de profondes attaches. Et puis, bien sûr, il y a le Nebraska, où je suis née et où je viens d’ouvrir une rétrospective à Omaha. C’était une manière de le redécouvrir et de lui dire au revoir. Le Nebraska, c'est en quelque sorte mon lieu mythologique. 

1964, l’année où tu t’installes à Paris, est également l’année, selon l’histoire canonique de l’art – que tu contribues par ailleurs à bousculer pour son plus grand bien – du « fameux déplacement du centre de l’art de Paris à New York », avec la remise du Grand Prix de la Biennale de Venise à Robert Rauschenberg. Je trouve emblématique ton mouvement inverse, des États-Unis vers l’Amérique latine, le Mexique, puis Paris. Parlons maintenant de la matière première : le textile. Celuici, sous toutes ses formes, tailles, couleurs, est la grande affaire de ta vie. À quel moment as-tu compris que cela pouvait être un langage universel ? Que le textile pouvait réaliser la synthèse des arts entre peinture, architecture, sculpture, entre archéologie, anthropologie, modernisme et artisanat ? 
Sheila Hicks : C'était une évidence que les archéologues et historiens ont documentée depuis l'existence des civilisations. Un ouvrage fut essentiel : Les Textiles anciens du Pérou et leurs techniques de Raoul d’Harcourt (1879-1971), paru en 1934, l’année de ma naissance. Quand j’étais à la Yale University, étudiant parallèlement la peinture avec Josef Albers et les civilisations précolombiennes avec George Kubler, je fus happée par les tissages de ces dernières : leur contenu et surtout leurs structures, leurs modes de « fabrication », par les relations entre couleurs, dessins et formes. Ce livre n’était alors disponible qu’en français – ce fut peut-être ma première rencontre avec cette langue. La rigueur et la sophistication avec lesquelles les créateurs péruviens ont maîtrisé les croisements de fils en trois dimensions sont exemplaires. C’était bien plus intriguant que le programme du Bauhaus ! Les anciens Péruviens savaient notamment composer dans un espace prédéfini par quatre lisières, tisser en forme et sans couture – parfois dans des dimensions étonnantes –, utiliser les fentes pour des effets décoratifs ou fonctionnels, jouer sur les symétries et les répétitions de motifs souvent imbriqués les uns dans les autres, achever des double-face et des constructions de plusieurs épaisseurs de même qualité. Mon enthousiasme pour ce livre m’a incité à entrer avec beaucoup de liberté dans le jeu des interactions de fils, m’autorisant, dans la droite ligne de ces créateurs, les jeux intellectuels et la création d’un langage universel. Toute la série des « Minimes », initiée en 1958, vient de là et des voyages d’étude effectués en 1958-1959, grâce à une bourse Fulbright, puis en tant que chargée de cours pour enseigner les théories de Josef Albers à la Faculté d’architecture de l’Université catholique de Santiago du Chili. J’ai pu photographier les tisserands indigènes et les sites archéologiques pré-incas. Tout comme l’enseignement de la Yale University, ces voyages « initiatiques » et la découverte des paysages de la région volcanique de Villarrica, de l’île de Chiloé, de la Terre de Feu continuent de m’inspirer profondément. 

Comment définirais-tu ta pratique ? 
Sheila Hicks : Je fais des noeuds et, après, je les défais pour comprendre. Je dois avouer que j’accorde de moins en moins d’importance aux définitions, aux catégories (art, artisanat, arts décoratifs, etc.). Je n’ai toujours pas compris ce qu’était le « Fiber Art » par exemple... L’important, ce sont les idées et les tester, comment réagir et intéragir avec la matière, étudier ce à quoi nous sommes sensibles. Mon ambition et mon plaisir de tous les jours, c’est d’exploiter les possibilités de chaque matière pour un résultat visuel élaboré conjointement par les mains, les yeux et la pensée. 

Une notion centrale de tes oeuvres – mais une notion peut-être « dangereuse » dans l’histoire moderne et contemporaine des arts – est la séduction, le plaisir, la joie, le bonheur visuel et physique qu’elles apportent, aussi bien pour toi que pour le spectateur. 
Sheila Hicks : Pourquoi dangereuse ? J’ai réfléchi sérieusement à cette question. Une chose est sûre : le textile est un moyen incomparable pour construire le dialogue avec l’autre. Chacun peut venir ici, s’asseoir, commencer la conversation tout en manipulant des fibres. Il n’y a pas une bonne manière de faire ou une mauvaise. Vous pouvez tisser de manière incorrecte et quelque chose en sortira, un « bâtard » très intéressant. Bien sûr, les couleurs et les textures sont très importantes dans ce que je fais. Il y a un aspect expérimental. Il y a de l’humour mais c’est aussi une chose sérieuse ; il faut faire l’effort de comprendre comment cela fonctionne. Cela peut-être hypnotique, surprenant. 

Tisser conduit-il à une sorte de transe ? Ou es-tu toujours consciente de ce que tu fais ? 
Sheila Hicks : La transe, bien sûr ! Quand tu réalises ce geste répétitif, tu es engagé dans un processus ; tu ne vois presque plus ce que tu fais ni le temps qui passe. Très vite, il est vingtdeux heures. C’est la nuit ; le temps a passé mais tu n’as jamais l’impression de l’avoir perdu. Même si tu ne pensais à rien de précis. Quelque chose passait dans ton esprit et dans ton corps, de manière gratuite, sans réelle signification. 

Le projet s’appelle Apprentissages. Au-delà du « jeu de mot », il s’agit d’une notion cruciale dans ton oeuvre : la transmission, l’oeuvre ouverte, le flux. Toujours rester curieux, continuellement s’enrichir des autres et des autres cultures. Ton « arbre généalogique artistique » comprend Josef et Anni Albers, George Kubler, Louis Kahn, Junius Bird et tous les artisans qui t’ont transmis leurs techniques et savoirs. Quelle sont les figures moins mentionnées que tu considères importantes dans ton parcours ? 
Sheila Hicks : Certainement Henri Maurice Peyre (1901-1988), un linguiste français qui enseignait à Yale et m’a permis d’effectuer mon premier séjour à Paris, en m’octroyant une bourse. J’habitais alors rue de Vaugirard dans une chambre de bonne. Je citerai aussi Mathias Goeritz, le sculpteur germano-mexicain, l’architecte mexicain Luis Barragán, le fantastique Willem Sandberg du Stedelijk Museum d’Amsterdam, Monique et Claude Lévi-Strauss, et François Mathey du Musée des arts décoratifs de Paris. Mon attention est toujours largement ouverte. J’enregistre (presque) tout ce qui croise mon regard, que cela m’attire ou non. C’est pour cela que j’apprécie particulièrement d’intervenir dans des lieux comme le Musée Carnavalet, le théâtre Nanterre- Amandiers et l’espace urbain parisien. Il faut ressentir, puis trouver la meilleure manière de répondre à ses sensations.

Propos recueillis par Clément Dirié, Commissaire des expositions 
Juin 2016